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L'oeuvre d'art


A quoi reconnaît-on une oeuvre d'art ?

Introduction :
Problématique: comment concilier une idée de l'oeuvre d'art -normative- et les productions concrètes, historiques dans toute leur diversité, surtout lorsque l1on sait que l'art du XXe siècles s'est constitué par 1'élaboration de ruptures avec la conception classique. Quelle valeur accorder à la présence esthétique de l'oeuvre d'art, présence sans doute incomparable mais difficilement utilisable à titre de critère. Caractère aléatoire lié à une sensibilité ? Ne peut-on rendre compte de cette présence autrement, de manière objective ?

I. L'oeuvre d'art est d'abord une oeuvre (ergon)
§ 1. distinction entre objets utiles et objets sans finalité.
§2. exemples de cas intermédiaires: à la fois utiles et esthétiques et les oeuvres d'art autrefois utiles.
§3. les cas intermédiaires ne brouillent pas la frontière, ils introduisent une norme de plus : beauté
II. L'oeuvre d'art se caractérise par sa beauté plastique
§1. Différence non de nature mais de degré entre objets utiles et objets d'art?
§2. L'ornement ou la forme comme enjeu fondamental de l'art
§3. Lorsque l'ornement devient absolu et négation du sujet, la beauté demeure
III. L'oeuvre d'art comme travail plastique d'un auteur
§ I. Beauté plastique ou plaisir (cf. Freud), caractère limité de la beauté comme critère
§2. a) Art conceptuel = art problématique; b) Critère sociologique: artistes - musées - public. §3. Traitement plastique et notion d'auteur demeurent les critères indépassables

Conclusion :
L'art moderne est-il de l'ordre de l'oeuvre sans faire partie cependant des oeuvres d'art, puisqu'il est en quelque sorte en dehors du champ de l'art comme manifestation dialectique de l'esprit. Ou bien est-il justement la réfutation post-hégélienne d'une telle conception de l'art et la revendication d'une esthétique proprement problématique et irréductible à toute assimilation conceptuelle ? De toute manière, par sa singularité même, l'oeuvre d'art n'est pas pleinement intelligible (il n'y a pas de recette).

Introduction

A quoi reconnaît-on une oeuvre d'art ? Une telle question postule que l'on sache déjà ce qu'est une oeuvre d'art. Et, en effet, tant que l'oeuvre d'art ne fait pas l'objet d'une question, ce qu'elle est, semble évident. Mais, sitôt que nous voulons interroger cette évidence, celle-ci se perd, incapable de soutenir la diversité même des oeuvres d'art. Nous constatons avec étonnement que ce savoir était une illusion. Si, dès lors, nous décidons de partir de cette diversité des oeuvres d'art afin d'établir un critère, nous nous trouvons confrontés à une autre difficulté, à savoir l'impossibilité de fixer des limites au dénombrement de cette diversité, faute de posséder un concept d'oeuvre d'art. Comment pouvons-nous affirmer que telle oeuvre est effectivement une oeuvre d'art, Si nous ne pouvons invoquer sa définition ? Nous sommes placés face à un cercle vicieux.
Peut-être faut-il alors revenir à ce savoir que nous pensions posséder car, s'il s'est avéré trop étroit, il n'en a pas moins contenu un critère par lequel il nous était possible de reconnaître des oeuvres d'art, reconnaître au sens platonicien c'est-à-dire au sens où nous posséderions une certaine idée de l'oeuvre d'art.
A travers la diversité des oeuvres d'art, il faut une identité, un principe d'intelligibilité grâce auquel je sache que j'ai affaire à une oeuvre d'art. Cette identité, ce principe d'intelligibilité, c'est l'eidos de l'oeuvre d'art. Or, l'oeuvre d'art n'est-elle pas singularité par excellence, se refusant à l'assimilation?

I. L'oeuvre d'art est d'abord une oeuvre
§.1 Dinstinction entre objets utiles i.e. finalisés et les objets d'arts sans finalité (gratuité) et distinction entre objets utiles visant la satisfaction d'un
besoin et ceux sans autre finalité que le plaisir: luxe, ce qui n'a pas de raison d'être, autre forme de gratuité.

Schème poiesis/praxis, absence de finalité ? D'où caractère singulier...
Comme l'indique le mot Erreur! Source du renvoi introuvable., l'oeuvre d'art est le fruit d'un travail, d'une production. En l'occurrence, ce travail appartient au registre de l'homme. La nature ne travaille pas, elle produit tout au plus. L'un des philosophes qui s'est le plus intéressé au travail humain à l'oeuvre (ergon) et à l'art (technè) est sans doute Aristote (Ethique à Nicomaque VI,4,  1140a7). Il introduit, en effet, des distinctions fort utiles pour déterminer la spécificité de l'oeuvre d'art au regard des autres objets produits par l'homme. L'art est, dit Aristote, disposition acquise à produire conformément à un discours vrai. L'art comprend deux formes de productions: l'action praxis) et la fabrication (poiesis qui s'opposent entre elles. Cette opposition repose sur l'intériorité de la finalité dans le cas de la praxis et dans l'extériorité dans le cas de la poiesis. La praxis est à elle-même sa propre fin alors que la poiesis a sa fin hors d'elle-même. Ainsi, la poiesis vise à la réalisation d'une oeuvre, d'une sculpture par exemple. La poiesis ne dure qu'aussi longtemps que la sculpture, sa fin, n'est pas achevée. Le sculpteur ne sculpte pas pour l'action de sculpter, même s'il peut y trouver un plaisir, encore que le plaisir vienne moins du travail pénible que du plaisir de voir la forme émerger hors du marbre. Inversement, dans le cas, de la praxis, l'action est visée pour elle-même. L'homme agit vertueusement par amour de la vertu. L'action n'y est pas un moyen.
Il apparaît déjà, par nos exemples, dans quelle catégorie il faut ranger ce que nous appelons l'art, dans la poiesis, c'est-à-dire dans la fabrication; ce qui s'avère moins surprenant lorsque l'on se souvient que l'artiste est une notion qui n'apparaît que relativement tard, à la Renaissance et qu'auparavant, n'existait que le statut d'artisan.
Il convient encore de préciser la nature de la production poiétique afin d'approcher celle de l'oeuvre d'art dans sa particularité. Aristote dégage 4 causes présidant à cette production ( cause formelle, matérielle, efficiente et finale), la plus importante étant la cause finale car c'est en fonction de la fin de l'objet (un abri dans le cas d'une maison) que l'on veut réaliser, que l'on saura quelle est la forme la plus à même d'abriter et quels sont les matériaux les plus appropriés. Et, lorsque l'artisan fait son travail, il ne perd jamais de vue cette finalité, il conjoint forme et matière, les harmonise jusqu'à les faire coïncider avec la fin. Ce n'est qu'à ce moment que le travail cesse. Or, dans le cas de l'oeuvre d'art, nous avons une production dépourvue de fin à cet égard. La peinture, la statue,.. ne sont pas en vue de quelque chose, elles ne sont pas utiles à quelque chose. Le sculpteur travaille sans doute en fonction d'un projet, celui d'une sculpture mais cette sculpture demeure sans finalité. Il y a donc une gratuité de l'art. C'est peut-être le signe même d'un certain stade de l'élévation de l'homme par rapport à la nature, puisqu'il peut se permettre de produire quelque chose qui ne satisfait nullement à un besoin (les grottes de Lascaux obéissant encore à un besoin puisqu'elles s'intègrent à une économie de la chasse, de la fertilité). La singularité de l'oeuvre d'art réside peut-être dans un premier temps dans cette gratuité. L'outil qui vise à une fin pratique précise ne peut recevoir un nombre infini de formes alors que l'oeuvre d'art, en principe, le peut.

§2 Pourtant,  ces 2 catégories semblent brouillées par des cas précis se situant à la limite des deux:
a) de nos jours, les objets utiles n'ont-ils pas plutôt vocation de satisfaire des désirs? la sté de consommation crée en permanence de nouveaux besoins i.e. des désirs
(Rousseau Disc. sur l'origine de l'inégalité et Platon Gorgias critiquent cette déviance)
b) le design ne comprend-t-il pas une satisfaction du plaisir esthétique?
c) l'avion de Léonard de Vinci n'est-il pas une oeuvre d'art?

§.3 Il faut se demander dans quelle mesure ces cas particuliers viennent brouiller les limites, i.e. chevauchent la frontières entre les 2 catégories. C'est parce qu'à l'utilité vient s'adjoindre l'ornemental et donc le "beau". Si la forme de la Renaut Espace obéit à des règles esthétiques que la sociologie range sous le terme de cocooning et donc, si son esthétique est susceptible de plaire au plus grand nombre, il demeure cependant difficile de parler spontanément d'oeuvre d'art à son sujet. En revanche, une voiture de collection pourra être dite oeuvre d'art dans la mesure où ce n'est plus à titre de véhicule qu'on la regarde puisqu'elle n'est plus utilisée mais au titre de son esthétisme. Ainsi même lorsqu'un objet rassemble utilité et recherche esthétique, les 2 dimensions demeurent des critères de distinction. Ceci montre également que le regard est constitutif de la valeur d'oeuvre d'art : on reconnaît à l'objet la valeur ou non. Reconnaître, en ce sens, c'est accorder un statut.
Problème : l'oeuvre d'art n'est pas belle en soi mais pour un regard : Duchamp, la sociologie et Kant.

II. L'oeuvre d'art se caractérise par sa beauté plastique
§ I. Ces cas limites à la fois utiles et esthétiques peuvent éventuellement prétendre à un statut d'oeuvre parce que sont des choses qui plaisent et qu'elles sont belles. Il n'est pas question de comparer le degré de beauté d'une automobile et le sourire énigmatique de La joconde, mais il y a de toute façon une incontestable prétention à la beauté de la part des designers. Rappelons qu'au Moyen-Âge, alors que n'existait pas le statut d'artiste, certaines oeuvres pouvaient parfaitement prétendre au statut d'oeuvre d'art dans la mesure où elles témoignaient d'une maîtrise parfaite de l'artisan. Il élevait son travail au rang d'art par l'harmonie et la beauté de la forme : les oeuvres ne visaient certes pas l'art pour l'art. Les commanditaires (nobles, clercs, notables) souhaitaient des objets utiles mais ornementés.

§2. Or, l'ornemental attire l'attention sur un point important. La beauté peut-être en quelque sorte secondaire même dans le domaine de l'art.
Ainsi distinguera-t-on entre la beauté du représenté (du signifié ou du contenu) et la beauté de la représentation (du signifiant ou de la forme), dont l'équilibre trouve, selon Hegel, son apogée dans le classicisme, mais au point, parfois, de trahir la nature en voulant la parfaire. Pour Hegel, l'histoire de l'art est une expression incomplète de l'Esprit vouée à être dépassée par la religion et la philosophie (Phénoménologie de l'esprit). Avec le classicisme, l'oeuvre devient l'être en acte de l'Idéal, autrement une unité déterminée de l'Idée et de la forme se trouve atteinte.
Le romantisme marque la rupture par rapport au classicisme. Le sujet peut être laid : "Les vieilles femmes" de Goya (quoique encore représenté de façon à ne pas trop heurter les sensibilités). La beauté du sujet représenté devient secondaire; elle s'efface pour laisser paraître dans tout son éclat la beauté de la représentation. On rompt progressivement avec le figuratif pour passer à l'art abstrait. Le travail de l'artiste apparaît de plus en plus comme travail. La trace du pinceau ne se fond plus dans un parfait dégradé faisant disparaître avec une parfaite maîtrise technique la peinture comme médiation, Si bien que la toile se plaçait en retrait par rapport à son sujet comme une fenêtre s'ouvrant sur le monde. A partir du romantisme, c'est l'inverse qui se produit: la trace émerge, la forme prend le pas sur le sujet. Pour Hegel, avec le romantisme, c'est l'infini de l'Idée qui ne pouvant s'actualiser que dans l'infini de l'intuition, attaque et dissout toute forme concrète (Esthétique).
En fait, plus généralement, nous pourrions dire que l'art prend conscience de façon radicalisée voire revendicative de sa propre dimension. Paul Klee écrit dans son Journal: L'art ne rend pas le visible, il rend visible. De la même façon, on s'aperçoit aujourd'hui qu'il ne faut pas traduire mimèsis dans la Poétique d'Aristote par imitation mais par représentation. Autrement dit, l'art n'imite pas la nature au sens où elle la reproduirait le plus fidèlement [mais éventuellement dans la mesure où le travail de l'artiste est Si soigné, l'harmonisation entre la forme et la matière Si aboutie quel' on penserait la matière et la forme faites naturellement l'une pour l'autre]. L'art est manifestation. L'art ne montre le monde que dans ce qu'il a d'artistique. D'une certaine manière, le monde devient prétexte; il passe au second plan et l'art se met lui-même en scène

§3. L'artiste non seulement se montre à travers son oeuvre, elle est son expression subjective et la beauté et toute entière dans la représentation par opposition au sujet représenté. Même dans l'abstraction sensible (Kandinsky, Pollock, Soulages), il demeure une beauté esthétique. On pourrait même dire que le sujet, le contenu, le représenté se ramène
à la forme elle-même. La forme de signifiante qu'elle était est prise au sérieuse comme dimension possible du signifier : les couleurs dans leur mises en rapport, les figures Si abstraites soient elles sont encore expressives et porteuses d'une émotion.
Si l'on reconnaît l'oeuvre d'art c'est donc grâce à la permanence d'une beauté p1astique et d'une gratuité comme il a été montré plus haut.

III. L'oeuvre d'art comme travail plastique d'un auteur
§ I. Beauté plastique ou plaisir (cf Freud), caractère limité de la beauté comme critère:

On pourra toutefois objecter que les oeuvres d'art du XXe siècle, non seulement ne se contentent plus de transformer les canons de la beauté plastique en dirigeant le regard sur l'harmonie des formes, des tensions géométriques ou une expression des couleurs, bien davantage, il peut y avoir un rejet du beau et une adhésion volontaire au laid par l'utilisation de matières  Erreur! Source du renvoi introuvable. (Dufrenne).

Si, éventuellement, ces oeuvres exercent encore une fascination, n'est-ce pas dès lors, non plus par leur beauté, mais par le désir inconscient qu'elles satisfont ? Freud parle à propos de l'art, et de façon très générale, de réconciliation dans l'imaginaire entre le principe de plaisir et le principe de réalité. L'art intervient lorsque l'individu qui Erreur! Source du renvoi introuvable. retrouve le chemin du retour de l'imagination vers la réalité en façonnant ses fantasmes en copies de la réalité, grâce à des dons particuliers. Qu'est-ce alors qu'une oeuvre d'art selon Freud ? Une oeuvre d'art serait le fruit d'une conversion de fantasmes imaginaires en représentations de la réalité. [Mais ce clivage laisse entier le mystère de la création qui s'y noue. Par quelle voie le fantasmatique peut-il être transposé en copie de la réalité, comment fonctionne cette sublimation ?]

§2. a) Art conceptuel / art problématique
La difficulté trouve sa forme la plus radicale avec l'art conceptuel, notamment, lorsque celui-ci ne fait plus intervenir de construction au sens plastique: lorsque l'oeuvre laisse la place au discours théorique de l'artiste sur l'art, discours d'ailleurs surtout destiné a susciter une réaction chez d'autres artistes. Dès lors, une fois cette dimension sensible ou plastique niée et le processus de la sublimation sans application, il devient incontestablement difficile de parler d'oeuvre d'art. A quoi reconnaît-on dans ces conditions que nous avons affaire à une oeuvre d'art?
b) Critère sociologique artistes - musées - public.
Il semble que de manière minimale il faille invoquer les critères d'ordre sociologiques. L'oeuvre d'art n'est plus oeuvre d'art en ell~même mais en vertu d'une instance de légitimation légitime dirait Bourdieu. L'oeuvre d'art est définie par un consensus et reconnaissable à des critères dont le premier est d'être exposé. Marcel Duchamp est le premier qui a attiré le regard sur cette réalité en transportant des objets quotidiens sans la moindre vocation artistique dans un musée. Il a montré ainsi qu'aux yeux du public le lieu confère une valeur et tient lieu d'autorité. Et de fait, une sculpture de Tinguely au sein d'une décharge n'émergerait pas c'est-à-dire qu'elle ne se détacherait peut-être pas du fond, du contexte dans lequel elle serait placée et nul n'y prêterait attention. Cette situation de l'oeuvre dans un musée fait automatiquement de nous des spectateurs. La fonction du musée étant d'offrir quelque chose au regard, nous sommes d'emblée placés dans un rapport de distance pleine de déférence à l'égard de ce qui demeure même au XXe siècle auréolé d'une sacralité liée à la création et au principe d'autorité; car Si telle oeuvre est exposée, c'est qu'elle mérite de l'être et, à ce titre, mérite respect et admiration.
c) La limite des critères sociologiques.
Néanmoins, il faut insister sur le caractère limitatif de l'approche sociologique. Si elle a le mérite d'être suffisamment large pour contenir la diversité du champ de production d~ait~elle s'avère en revanche appauvrissante lorsqu'il s'agit de rendre compte de la différence qui exis~~n~re la beauté d'un chef d'oeuvre et la banalité d'une quelconque oeuvre d'art. La sociologie, comme l'ensemble des sciences positives, trouve des critères explicatifs mais ne saurait rendre compte de l'oeuvre en elle-même. Elle n'effleure même pas le mystère de l'oeuvre lorsque celle-ci est chef d'oeuvre, elle l'ignore délibérément comme le montre La distinction de Bourdieu. Dans La distinction, les oeuvres d'art ne sont perçues que comme les symboles d'une appartenance à une catégorie sociale et signe de reconnaissance.

§3. Traitement plastique et notion d'auteur demeurent les critères indépassables.
On peut dire que même dans le cas de l'art conceptuel, l'oeuvre peut prétendre au statut d'oeuvre d'art dès lors qu'elle se structure par contraste avec son contexte.
L'oeuvre d'art existe pour elle-même, close, achevée. L'outil n'est pleinement ce qu'il doit être, dira Aristote, qu'au moment de sa mise en oeuvre. La scie n'est pleinement scie, son essence est pleinement réalisée que lorsque le menuisier s'en sert pour scier, lorsqu'il passe à l'acte. L'oeuvre d'art n'est pas tributaire d'une telle réalisation, d'une telle mise en oeuvre. L'oeuvre d'art étant indépendante, elle est donc toujours déjà pleinement en acte une fois sortie des mains de l'artiste. Elle se dresse là, souveraine en acte. A cet égard, il est tentant de faire un rapprochement avec le premier moteur d'Aristote, c'est-à-dire Dieu. Comme Dieu, l'oeuvre d'art semble avoir cette particularité d'être pleine et constante actualité (energéia). Et, en même temps, convient-il d'apporter une réserve dans la mesure où l'éclat de l'oeuvre d'art est aussi tributaire de son rapport au cadre qui l'abrite (qu'il s'agisse d'un musée, d'un lieu naturel), de la lumière qui l'illumine, etc. la comparaison avec Dieu ne peut être poussée jusqu'au bout. L'oeuvre d'art demeure tributaire d'un contexte. Heidegger dans L'origine de l'oeuvre d'art rend compte de cette réciprocité entre l'oeuvre d'art et son milieu, Heidegger va même plus loin avec l'exemple du temple en soulignant que le monde autour du temple n'émerge que par le contraste qu'introduit le temple dans cette nature  Erreur! Source du renvoi introuvable.. Il y a une présence phénoménologique propre à l'oeuvre d'art. Mais cette approche phénoménologique ne met en aucun cas à notre disposition un critère, rien ne saurait être plus étranger à la pensée de Heidegger. L'homme doit plutôt se mettre à l'écoute, s'ouvrir à l'art. Il n'en dispose pas.
Certes, le rôle du musée, de la galerie est-il aussi d'orienter le regard. Mais il faut, en outre, ajouter que le musée, sorte de lieu de la neutralité, lieu dont la propriété est de s'effacer pour renforcer le contraste avec ces oeuvres qui veulent s'affirmer et se montrer au public. Une oeuvre d'art qui passerait inaperçue, qui n'interpellerait pas notre sensation pour se rappeler à nous, n'existerait pour ainsi dire pas. Une peinture ne risque pas, en dernier ressort, d'être confondue avec un texte. Nous savons grâce à tout un ensemble de signes que nous avons affaire à une production de l'art humain, qui ne correspond pas à une finalité utilitaire mais s inscrit dans un rapport à la manifestation sensible. Les raisons d'exclure le panneau publicitaire du champ de l'oeuvre d'art sont donc extrêmement minces.

Conclusion
Déjà dans la Poétique, Aristote nous confronte à cette insurmontable contradiction qui semble se présenter entre la définition du tragique et les oeuvres tragiques qui ne correspondent jamais totalement à cette définition posée comme norme. Ce problème demeure au XXè siècle. Il se retrouve dans l'approche de l'art par Erwin Panofsky dans Idea, Si l'on en croit la préface de Jean Molino. Comment réconcilier théorie et faits, lorsque les faits frisent la singularité inintelligible ? Peut-on expliquer l'art ? et donc le reconnaître ? Peut-être, à l'instar du discours sur Dieu, n'y a-t-il à propos de l'art qu'un discours négatif, une aisthétologie négative. Et le travail de cet art dit conceptuel consiste, précisément, à faire fond sur ce discours de façon simplement négative sans intention de dépassement. Regretter qu'il n'y ait pas de dépassement, n'est-ce pas regretter l'absence d'une harmonisation entre la forme et un contenu d'un genre plus élevé ? Au fond, n'est-ce pas espérer la perpétuation harmonieuse d'une suprématie de l'Esprit ? Hegel nous dit que l'art a achevé son parcours, que l'art doit être relayé par la religion comme véhicule plus approprié de l'Esprit. Faut-il dès lors ne voir dans l'art postérieur au classicisme qu'une inévitable déchéance, telle qu'elle se manifeste dans les civilisations qui ne sont plus portées par l'Esprit ? L'art conceptuel, n'est-ce pas une tentative désespérée pour nier la contribution de l'Esprit à l'avènement des formes artistiques ? Ou bien, faut-il situer l'art moderne au delà d'une compréhension dialectique et historique, à savoir comme une réfutation de l'Esprit, comme l'affirmation d'une subjectivité de l'artiste irréductible à toute reprise au sein d'un mouvement dialectique

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© 2003 PhiloLycée - Dernière mise à jour le 21/11/03