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Les mathématiques ou la garantie de la certitude scientifique ?

I - Pourquoi les mathématiques sont-elles certaines ?

1. La certitude est-elle d'origine empirique ?

Hypothèse : les mathématiques sont vraies car conformes à la réalité.
Et l'on peut toujours vérifier par la réalité empirique.
Cela implique que les mathématiques sont le décalque ou le double de la réalité.

On admet ainsi que tous les objets mathématiques sont issus de l'expérience :
Si 2+2 est égal à 4, c'est parce qu'il en va ainsi dans les faits ;
2 pommes plus 2 pommes donnent bien 4 pommes.
La certitude mathématique proviendrait de son fondement concret et vérifiable,
c'est-à-dire de l'impossibilité de nier les faits empiriques.
La nécessité de l'opération ne vient-elle pas du caractère irréfutable des faits concrets ?

2. L'expérience ne constitue pas une autorité pour le mathématicien

Pourtant, quand nous calculons nous ne vérifions pas par l'expérience.
Démontrer, ce n'est pas montrer à l'aide de l'expérience !
Le tracé d'une figure peut être faux ou approximatif et la démonstration vraie.
Seule importe la démonstration à l'aide des théorèmes.

Quel est alors le rôle de l'expérience ?
Platon (République VI) : son rôle est pédagogique.
La figure sensible (ex.: le triangle tracé au tableau) aide à la réflexion.
Mais ce n'est pas ce triangle qui est l'objet de la réflexion.
Car ce triangle est un triangle particulier : telle taille, telle forme, etc.
Or les démonstrations valent pour tous les triangles.
A travers ce triangle, on vise absolument tout triangle.
L'objet des mathématiques est universel.
Les mathématiques visent des concepts.

Le concept a une extension et une compréhension.
L'extension: l'ensemble des cas particuliers qui relèvent du concept
La compréhension: la définition.
A travers le concept du triangle, on vise tous les triangles sans exception.
De ce concept, je ne peux avoir " l'image " même en esprit.
Mais, je peux le penser grâce à sa compréhension.

Les objets mathématiques ne sont pas d'origine empirique.
cf. texte Desanti (p. 140): "Les mathématiques ne sont ni du ciel ni de la terre".
On ne rencontre pas 3 capitaines dans la nature mais des capitaines.
Dans la nature, il n'y a que des choses singulières c'est-à-dire différentes.
Pour compter, il faut ramener les choses à de l'identique ;
autrement dit, il faut nier une part de leur réalité.
C'est le travail d'abstraction de l'esprit qui fait surgir le nombre.
Le nombre 3 suppose l'activité d'un esprit.
Le nombre est introduit par l'esprit à propos ou à l'occasion des choses réelles.
Il faut un travail de numération i.e. une activité synthétique de l'esprit.

Desanti écrit que les objets mathématiques sont :
" ces sortes d'objets qui n'ont de statut que relationnel et ne sont accessibles que dans le système des possibilités réglées ouvertes par les relations qui les définissent. "

Analysons cette phrase :
Les objets n'ont de statut que relationnel.
Ils n'existent pas par eux-mêmes.
Ils n'existent que relativement les uns aux autres.
Exemple :
Le nombre 2 ne se définit pas autrement que par sa place dans un certain ordre.
Il succède au nombre 1 et précède le nombre 3.
Le nombre n'est rien en soi mais seulement une relation.
Aussi n'existe-t-il pas en acte mais seulement en puissance !
En effet, le nombre 2 n'existe qu'en tant qu'il vient après 1 et avant 3.
Mais, il en va de même pour les nombres 1 et 3.
Du coup, il s'agit d'une mise en rapport de choses qui n'existent pas en elles-mêmes ; et le nombre n'existe que relativement à d'autres qui n'existent pas, eux non plus, en eux-mêmes.

Enfin, ces possibilités sont réglées i.e. soumises à des règles dans la relation qu'elles entretiennent entre elles: on ne passe pas n'importe comment de 1 à 2.
C'est en vertu de cette règle que l'on ne passe pas de 1 à 3.

3. Différence entre réalité empirique et vérité mathématique

La réalité empirique est singulière et contingente: ce mouton, ce capitaine, etc.
C'est toujours un cas particulier que je connais par expérience.
Alors que les mathématiques sont universelles et nécessaires.
2+2 est égal à 4 de tout temps et quel que soit le lieu.
Elles sont vraies indépendamment de l'expérience donc a priori.
Il est inutile de vérifier par l'expérience pour savoir que le calcul est juste.
Le recours à l'expérience ne confirmerait que pour un cas : celui des pommes.
Et il faudrait s'en assurer pour tous les autres cas : poires, cerises, etc.
(cf. l'impossiblité de vérifier une proposition générale par un cas singulier)

En outre, plus les mathématiques deviennent complexes et plus il est difficile
de recourir à 1'expérience pour vérifier.

4. La nécessité des mathématiques n'est pas d'origine extrinsèque.

La nécessité des mathématiques ne provient pas d'une nécessité empirique.
Sa nécessité provient de la forme de ses opérations.
La nécessité tient à la cohérence interne du raisonnement (au même titre que n'importe quelle logique formelle).

La vérification formelle est plus certaine que le recours à l'expérience.
(cf. Hume Enquête sur l'entendement humain : IV, 1, §1-2)
(cf. Kant CRP, Introduction : distinction entre preuve analytique et preuve empirique).



II - La vérité des mathématiques est d'ordre formel.

1. La vérité réside dans les opérations et pas dans le contenu

Les mathématiques, avons-nous vu, sont vraies en elles-mêmes.
Ce n'est pas la réalité empirique qui les rend vraies.
Leur vérité dépend de la justesse des opérations ou calculs.
En ce sens, logique et mathématiques sont "identiques" (Russel);
Elles ne sont pas science d'un objet (la nature, le vivant, etc.)
Ce sont des sciences formelles i.e. la science de la forme du raisonnement.
Et donc ne se soucient pas de la matière ou contenu du raisonnement.
Peu importe l'objet de l'opération.
Ce sont les relations (jugements et raisonnement) entre des variables qui comptent.
Ceci permet les algorithmes.
De sorte qu'il ne s'agit donc pas encore de science à proprement parler.
Car la science suppose un objet de la connaissance.
Mais des conditions nécessaires (et non-suffisantes) de toute science.
Elles sont souvent présentées comme un langage rigoureux et non-ambigu.
(cf. L'adoption de variables en mathématique à partir de Descartes.)

2. La logique formelle recense l'ensemble des opérations de la pensée pour les systématiser.

Il ne s'agit donc pas de savoir si la pensée au sujet de tel objet dit vrai à propos de cet objet.
On a vu que l'objet ne compte pas.
Il s'agit de savoir si cette pensée est rigoureuse en elle-même quelque que soit l'objet
Il s'agit de repérer des vices de forme ou des vices de procédure.

Ex.: Tout f est g,
x est f,
donc x est g.

L'enchaînement des termes apparaît de façon explicite.

3. Un raisonnement peut être formellement juste et faux quant au contenu.

Exemple :
Socrate est une souris,
Toutes les souris sont grises,
donc Socrate est gris.

Le raisonnement est formellement juste car la déduction est correcte.
On ne s'occupe pas de savoir si la prémisse est matériellement fausse.
Ce problème relève d'une autre discipline ou science.
La vérité formelle ignore la réalité !!!
Elle est seulement l'accord de l'esprit avec ses propres règles.

4. Comment " vérifier " ces règles du raisonnement formel ?

Comment évaluer la justesse des opérations logiques ?
La solution consiste à examiner leurs fondements.
Tel est l'objectif de toute axiomatique.
L'axiomatique procède à l'analyse (décomposition) de la logique.
On recherche ses éléments constitutifs et les règles de composition.
On se dote finalement des principes de composition de la logique.
L'axiomatique dresse ainsi la liste des opérations de la pensée
Et elle permet de vérifier la "rigueur" d'une déduction
i.e. si ces propositions logiques sont correctement construites.

5. L'axiomatique d'Euclide

Exemple :
L'axiomatisation recherche les éléments qui composent la géométrie i.e.
les éléments dont on déduit les figures et les théorèmes.
Connaître ces éléments :
permet de s'assurer que la chaîne des déductions est intégralement fondée, et
permet d'autre part de démontrer que chaque étape de la déduction est correctement construite.


En mettant à jour les "éléments" constitutifs de la géométrie,
Euclide s'appuie sur les théorèmes épars de la géométrie de son temps.
Il cherche alors à remonter aux principes constitutifs i.e. aux présupposés.

C'est l'architecture implicite des conditions de la construction géométrique qu'il
rend visible.
Du même coup, il lui confère son unité ;
et il en établit le système.
Il s'agit pour Euclide d'unifier l'ensemble du savoir mathématique.
C'est l'unité du système qu'il recherche.

Il part des théorèmes pour établir les propositions qui les fondent.
Les théorèmes sont fondées sur des propositions.
Les propositions font à leur tour l'objet d'une démonstration.
Et, à partir des propositions, il définit chacun des termes.
Il définit ainsi le point: " Le point est ce qui n'a pas de partie "
la ligne : " la ligne est une longueur sans largeur. "

Seules quelques propositions sont indémontrables à partir des définitions
Il s'agit des "demandes" [postulat]
Exemple : 6è : " deux droites ne renferment point un espace ".
et les "notions communes" [axiome]
Exemple : " les grandeurs égales à une même grandeur sont égales entre elles ".

6. A partir d'un nombre limité d'éléments, on peut construire les mathématiques.

Euclide distingue ainsi 3 types d'éléments ou principes :
_ les axiomes,
_ les postulats,
_ les définitions.
Leur combinaison permet de construire les théorèmes de la géométrie.

L ' axiome est une proposition tellement évidente par elle-même qu'elle n'a
pas besoin d'être démontrée.
Ex.: " le tout est plus grand que la partie ".
En la démontrant, on ne gagnerait pas en évidence !
Au contraire, on perdrait en clarté.
Ou alors il y aurait pétition de principe :
C'est démontrer un élément simple à partir d'un composé complexe qui présuppose l'élément simple. Il y a là un cercle.

Le postulat est une proposition qui résiste à la démonstration par les axiomes.
On nous demande d'admettre le postulat.
Ex. : pour démontrer la 29è Proposition, Euclide a recours à un Postulat (le 5è).
Il est obligé de présupposer un fait que l'expérience constate :
"par un point donné, on ne peut mener qu'une seule parallèle à une droite donnée."
Le postulat n'est pas démontrable à partir des définitions et axiomes.
On peut le vérifier par l'expérience.

Ces postulats sont problématiques car c'est un maillon empirique qui vient combler une lacune de la chaîne logique.
Or, la rigueur logique exige le maintien de son caractère a priori
i.e à la pureté de ses opérations.



III - L'axiomatisation est-elle intégralement réalisable ?

Faut-il rejeter les mathématiques dans leur ensemble parce qu'elles opèrent à partir d'hypothèses non-fondées ou non-évidentes?
On nous demande d'admettre certains postulats.
Mais pourquoi ne pas admettre dans ce cas des postulats différents ?
N'y a-t-il pas là quelque chose d'arbitraire ?

1. Le problème du 5è Postulat d'Euclide


Les mathématiciens se donnent du mal pour résoudre le 5è Postulat d'Euclide.
Mais tous leurs efforts se soldent par un échec.
Puisque l'on n'arrive pas à démontrer que " par un point donné, on ne peut mener qu'une seule parallèle à une droite donnée ", Saccheri et Lambert suggèrent le recours à la " démonstration par l'absurde " : démontrer qu'il peut passer par un point donné plusieurs parallèles à une droite donnée.
Mais, contre toute attente, Lobatchevski et Riemann découvrent tour à tour que la chose est logiquement possible dans un espace courbe.
Ils découvrent que le 5è Postulat n'est vrai que pour un espace de type euclidien (à 3 dimensions).
Or, admettre un tel espace relève d'un choix.
Et l'on peut tout à fait envisager des espaces à " n " dimensions sans que cela implique contradiction avec le système des démonstrations.
Evidemment pour penser ces géométries à " n " dimensions, on ne peut plus avoir recours à l'intuition ou l'expérience sensible !!!
Je ne peux pas me représenter dans mon esprit deux droites passant par un même point et parallèles à une autre droites, sans que ces 2 droites ne soient confondues donc identiques.

La découverte des géométries non-euclidiennes oblige à repenser le sens des mathématiques dans leur ensemble.
En effet, il n'y a plus de vérité absolue mais seulement des vérités relatives à un ensemble d'axiomes donnés.
Les mathématiques sont hypothético-déductives.

La géométrie euclidienne correspond à notre représentation sensible de l'espace. Mais ce n'est qu'une géométrie parmi tant d'autres.

On peut être tenté de se demander s'il n'y aurait pas tout de même un système plus vrai que les autres, plus conforme en l'occurrence à la réalité. En fait, il n'y a pas lieu non plus de se demander laquelle des géométries est la plus vraie. Poincaré indique dans La science et l'hvpothèse qu'il y a totale équivalence de la géométrie euclidienne et de la géométrie non-euclidienne à l'égard de la vérité. "Autant demander Si le système métrique est vrai et les anciennes mesures fausses. (...). Une géométrie ne peut-être plus vraie qu'une autre elle peut seulement être plus commode." (N.B. la géométrie utilisée par Einstein est celle de Riemann).

Ceci montre la géométrie comme construction intellectuelle.

2. Toute vérité mathématique est relative

La multiplicité des systèmes géométriques fait que :
tout énoncé ne vaut pas par lui-même ou relativement à une évidence propre mais relativement au cadre dans lequel il s'inscrit.
L'évidence de l'intuition intellectuelle se trouve destituée.
Autrement dit, la valeur d'une notion ne tient plus à son évidence car c'est encore une façon d'envisager la notion pour elle-même i.e. comme nature et non dans sa dimension relationnelle ou opératoire.
La vérité d'une notion est donc tributaire du cadre dans lequel elle intervient.
Ceci ne vaut pas seulement pour les postulats mais y compris pour les axiomes.

Exemple :
Reprenons l'axiome qui pose que " le tout est plus grand que la partie ".
En réalité, cet axiome n'est pas vrai absolument.
Il est vrai relativement à un certain ordre (cadre) de totalité, à savoir une totalité finie.
Cet axiome est valable tant qu'on travaille dans le cadre d'ensembles finis.
Il ne convient pas dans la mathématique des ensembles infinis.
Illustrons cet axiome à l'aide de l'ensemble infini des nombres entiers pour le
"tout" et l'ensemble infini des nombres pairs pour la "partie".
Il est possible d'apparier terme à terme c'est-à-dire de mettre en "correspondance bi-univoque" les 2 ensembles:

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10...
2 4 6 8 10 12 14 16 18 20...

En ce sens les deux ensembles sont "égaux" ;
ils ont la " même puissance ".
Et pourtant, l'ensemble des nombres pairs est une partie de l'ensemble des nombres entiers.
Dans cette perspective, le tout est égal à la partie.

(Remarque : La différence entre postulat et axiome n'est plus prise en compte par les mathématiciens car ce n'est pas la nature de la notion ou son évidence intuitive qui
importe mais son rôle, sa fonction opératoire au sein du système et donc son statut de relation.)

On doit donc tout démontrer même ce qui paraît évident.
On ne peut se satisfaire de l'évidence.

3. La vérité est relative aux conditions que l'on se donne

On ne peut plus parler de vérité absolue ou universelle à propos des résultats géométriques.
Il n'y a de vérité que relatives à un cadre lequel est déterminé par les axiomes choisis et donc par le type de géométrie dans lequel on travaille.
La vérité est relative à l'ensemble des axiomes ;
elle est purement formelle.
Chaque système dépend de postulats hypothétiques.
Et, le système n'est juste que pour autant que les théorèmes sont correctement déduits.
En cela, les mathématiques sont effectivement une science hypothético-déductive.
La pensée est simplement en accord avec elle-même.

Ceci clarifie l'idée que les mathématiques ne sont pas science de quelque chose mais seulement science préliminaire, outil ou encore langage.
Comme toute langue, les mathématiques sont un système dont les termes sont d'origine conventionnelle mais dont le fonctionnement (relation) est réglé.

On pourrait tenter de démontrer la validité des différents systèmes géométriques autrement que par la voie de la déduction propre à toute science hypothético-déductive notamment en recherchant sa fondation dans l'arithmétique.
La non-contradiction de la géométrie présuppose la démonstration de la non-contradiction de l'arithmétique.
Or d'après les travaux de Gödel, cette dernière ne semble pas pouvoir être démontrée d'après les seules ressources de l'arithmétique.

IV. Problème de fondation des mathématiques dans leur ensemble (Gödel)

Rappel : les mathématiques opèrent sur des relations (¹ contenu).
Question : ces opérations ou relations sont-elles compatibles entre elles ?
Bref, sont-elles non-contradictoires ?

Gödel à l'aide de la théorie des ensemble montre qu'il y a des problèmes :
les fondements ou propositions ultimes sont indécidables !
Soit E l'ensemble des ensembles e qui ne s'appartiennent pas eux-mêmes ;
L'ensemble E s'appartient-il à lui-même ?
cf. reformulation par Russel (exemple du barbier)

De façon ultime, on ne peut pas fonder complètement les mathématiques.
(Il y a encore débat pour savoir comment il faut interpréter Gödel...)

En tout cas, il y a un problème.
Et ce problème suffit à rendre (provisoirement ?) les mathématiques sujet à caution.

N.B : cela n'empêche pas les mathématiques de progresser dans leurs recherches !!!

N'y a-t-il pas des objets qui échappent aux sciences?

suite du cours sur le vivant

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Date de mise à jour : 24/09/03 © 2003 PhiloLycée