Introduction
On a vu que l'opinion n'est pas un savoir car fondée sur l'arbitraire.
A l'inverse, la science est reconnue comme un savoir objectif fondée
sur des faits.
Or la science ne pourrait-elle servir de modèle de rationnalité
?
Ne pourrait-on lui emprunter ses méthodes rigoureuses de pensée
?
Il convient donc de s'intéresser à ce qui fait la scientificité
de la science.
On situe la naissance des sciences naturelles au XVIIè s. avec Descartes
et Galilée.
Mais, il faut nuancer ce terme de " naissance ".
En fait, il s'agit de la naissance des sciences modernes.
Car les " sciences " existaient bien avant :
L'alchimie, l'astrologie-l'astronomie, l'histoire naturelle (biologie) etc.
sont anciennes.
Dès la Grèce antique, les sciences de la nature sont filles
de la philosophie.
A ce titre, elles ont pour tache d'expliquer rationnellement le monde.
Malgré tout, une certaine confusion entre le rationnel et l'irrationnel
demeure.
Confusion qui persiste d'ailleurs au-delà du XVIIè siècle.
Autrement dit, la révolution scientifique s'instaure progressivement.
(cf. Newton s'intéresse plus aux anges qu'à l'attraction universelle)
Les sciences modernes procèdent d'une rupture méthodologique
:
la mathématisation du monde.
Le monde est un livre écrit en langage mathématique dit Galilée.
(N.B. les mathématiques sont un langage.)
La science étudie des rapports ou des relations et non des substances.
Le recours aux mathématiques va jouer le rôle de filtre ;
elles vont contribuer à limiter la place de l'irrationnel.
Jusque-là l'étude du monde consistait à chercher la
raison d'être,
le sens des choses,
i.e. ce en vue de quoi elles sont faites,
bref, il s'agit de comprendre le monde en fonction d'une intention créatrice.
Même le matérialisme demeurait prisonnier de l'explication intentionnelle.
La théorie des éléments (terre, air, feu, eau) interprète
les rapports entre la matière selon un critère d'attirance et
de répulsion comme si une volonté se manifestait dans la nature.
Cet anthropomorphisme est analysé par Foucault dans les Mots et les
Choses !
Depuis Aristote, la méthode utilisée par la scolastique était
le finalisme.
En son temps, Aristote avait porté un coup très dur au matérialisme
de Démocrite et d'Epicure.
Descartes et Galilée vont réhabiliter le matérialisme
et l'approche causaliste.
Avec le recours aux mathématiques, le critère d'analyse des
phénomènes n'est plus qualitatif mais quantitatif.
Ainsi la médecine s'est-elle intéressé à l'aspect
qualitatif du corps et de ses sécretions.
On se fiait à la couleur, la saveur et l'odeur pour formuler un diagnostic.
Aujourd'hui, on se fie à la quantité (taux) des composantes.
Il a fallu remédier à la tentation anthropomorphiste.
On s'est efforcé de restreindre la part du préjugé.
On fallait laisser parler l'expérience.
Et éviter que l'observateur n'apporte ses idées.
Bref : s'en remettre exclusivement à l'expérience !
La connaissance procède entièrement de l'expérience.
Rien ne vient du sujet ; tout vient de l'objet !
Ainsi, on évite les préjugés anthropomorphiques !
Cette appréhension du monde vise à une parfaite neutralité.
Les lois de la nature sont dégagées à partir d'observations
minutieuses.
Autrement dit, on induit des lois générales à partir
des cas observés.
Et on n'ajoute rien qui ne soit donné ou constaté dans la nature
!
1° On rassemble tous les faits observés sans rien occulter.
2° On repère les faits qui apparaissent constamment ensemble,
puis on généralise cette concomitance à tous les cas
du même type.
On passe des faits à la loi par généralisation.
On généralise la corrélation entre 2 phénomènes
à tous les phénomènes du
même type.
(cf. texte de Hume, txt 2, p.122)
cf. Hempel Eléments d'épistémologie Ed. Colin
· Trois conditions accompagnent l'induction :
1° La corrélation doit être observée un nombre suffisant de fois.
2° On doit faire varier les conditions d'observations
pour s'assurer que la corrélation concerne bien les 2 phénomènes
isolés.
3° Il faut que cette corrélation, une fois généralisée, permette des prédictions.
Mais ces conditions sont-elles vraiment suffisantes ?
l° L'idée d'une observation qui ne soit pas " orientée
" n'est-elle pas illusoire ?
_ où et quand devra-t-elle s'arrêter ?
_ doit-on vraiment observer absolument TOUT ?
_ est-ce seulement possible ?
2° A partir de quand le nombre d'occurrence est-il suffisant ?
Suffit-il qu'une prédiction soit confinirmée pour que la théorie
soit vraie ?
Des théories concurrentes peuvent fournir des prédictions justes
!
La logique montre, qu'à partir de prémisses fausses, on peut
aboutir à des conclusions vraies :
Socrate est un chat,
Tous tes chats sont mortels,
Donc Socrate est mortel.
Ces objections ne remettent peut-être pas en cause la validité
de l'inductivisme.
En effet, la validité de l'inductivisme tient pent-être moins
à chaque exigence
prise dans le détail qu'à la conjonction de toutes.
Ces exigences
Il faut donc réfuter l'inductivisme de façon globale.
Rappel : la méthode inductiviste consiste à " généraliser
" une concomitance.
Tels faits se sont manifestés ensemble, voyons s'ils se manifestent
" toujours " ensemble.
S'ils passent l'épreuve des conditions alors on pourra considérer
que cette concomitance vaut comme loi générale.
Or, ce n'est pas parce que quelque chose s'est produit 1000 fois que cela
doit toujours se reproduire.
cf. l'exemple la dinde de Russel
Dire que:
" parce que quelque chose s'est produit 1000 fois donc cela doit toujours
se reproduire "
C'est une conséquence abusive.
La haute fréquence ou occurrence ne constitue pas une absolue systématicité.
Cela ne donne qu'une très haute probabilité !
Alors que la loi est absolument universelle et nécessaire.
Glisser de la forte occurrence au " toujours ",
c'est admettre un présupposé d'origine a priori
(i.e. quelque chose qui ne résulte pas de l'observation
et dont on peut penser qu'il vient du sujet, de l'observateur).
Le présupposé est : l'idée de constance de la nature.
On n'a pas le droit de penser que 1000 répétitions impliquent
une loi.
" Chaque fois " n'est pas équivalent à " toujours
".
La loi implique une absolue systématicité.
(Pas d'exception possible à la loi)
Le principe de la constance de la nature n'est pas tiré de l'expérience.
Il est strictement théorique.
Il n'est pas tiré de l'expérience,
car il est justement la caution de " toute " généralisation.
Seul un principe théorique peut valider le procédé de
la généralisation.
En effet, l'observation empirique ne dévoile jamais que des cas particuliers.
Sans ce principe, je ne peux pas faire de généralisation.
Supposons un instant que l'on veuille établir ce principe à
partir de l'expérience.
Comment inférer cette loi de la constance de la nature ?
On va partir d'un certain nombre de lois particulières, exemple :
le principe de l'induction marche dans lc cas x1
le principe de l'induction marche dans le cas x2, etc
donc le principe de l'induction marche à tous les coups
Problème :
comment peut-on passer de cas particuliers à l'affirmation d'une universalité
?
Le problème est reposé.
Je suis à nouveau obligé de présupposer l'idée
de "constance de la nature".
Ainsi l'inductivisme n'est tenable que si on postule un principe qui n'est
pas tiré de l'expérience.
L'édifice inductiviste repose sur un principe a priori.
Il semble donc impossible de fonder la science exclusivement sur l'expérience
!
L'inductivisme ne fournit que des connaissances hypothétiques :
la généralisation à partir de cas particuliers n'est
que vraisemblable.
Ainsi la science n'est-elle qu'une connaissance hautement vraisemblable.
En toute rigueur, on n'a pas le droit d'effectuer cette généralisation.
Pourquoi admettons-nous que la nature est constante en ses lois ? Par habitude.
En effet, " chaque fois " dans le passé, l'expérience
a été confirmée.
On fait donc comme si cette constance de la nature devait durer toujours.
Alors que l'on n'en sait rien...en toute rigueur.
Cette solution est peu satisfaisante intellectuellement.
Car elle entraîne un certain scepticisme. (cf. Hume)
Mais d'un point de vue pratique, elle est indispensable.
Partir des faits, et seulement des faits, est un projet louable mais vain.
Tout ne peut provenir de l'expérience sensible.
Ou alors il faut d'emblée renoncer à la science et à
ses certitudes.
Car l'exprience ne permet stricto sensu qu'un savoir probable.
Faut-il, dès lors, renoncer à tout savoir rigoureux ?
Comment penser les sciences autrement ?
Toute observation présupose un cadre théorique :
La science n'interroge pas la nature sans objectif, ni arrière-pensée.
Elle ne se livre pas à une collecte naïve des faits.
Tous les phénomènes n'intéressent pas la science.
Et, notamment, parce qu'elle ne cherche pas au hasard.
Elle ne retient de l'observation que ce qui apparaît pertinent par rapport
au problème ou à la théorie.
Il n'y a pas d'observation en dehors d'un contexte théorique.
Le point de départ est donc toujours une théorie ou un problème.
Claude Bernard :
Le point de départ de la science, c'est la constatation que des phénomènes
observables contredisent des lois admises.
Le scientifique ne commence à chercher que pour solutionner un problème.
(phénomène observé) : des lapins du marché ont
une urine claire et acide.
Or, en tant qu'herbivores, leur urine devrait être trouble ou alcaline
(loi admise).
Donc: ils dovent avoir un régime alimentaire carné !
Cependant,
(phénomène observé) : le sang de tout animal contient
du sucre
même quand il n'en mange pas,
et le taux de sucre dans le sang est constant.
Hypothèse :
il y a un organe capable de stocker le sucre sous une forme particulière
et de le restituer quand il le faut
Pour solutionner un problème, la science va " questionner "
la nature.
Elle n'attend pas passivement que la nature donne une réponse.
Elle invente des dispositifs expérimentaux qui questionnent la nature
sur un point aussi précis que possible.
Elle soumet la nature à des tests pour voir si celle-ci réagit
conformément à son idée (et notamment aux prévisions).
On est loin de l'expérience passive ou naïve !
La science peut créer des conditions expérimentales totalement
artificielles
(non-naturelles) pour vérifier certaines hypothèses.
Ex.: Huyghens produisant du vide.
Si l'on demeurait passif face à la nature, on n'obtiendrait pas de
réponse.
Ainsi dans l'expérience, il y a une sélection théorique
des phénomènes.
L'expérience est la question de la théorie à la nature.
Il ne s'agit plus d'expérience mais d'expérimentation.
D'autre part :
Le dispositif expérimental ne vise pas seulement à questionner
la nature.
Il vise aussi à contrôler la nature des questions qui sont posées.
La théorie doit filtrer les questions posées à la nature :
La façon dont le monde est éprouvé i.e.
l'expérience comme Erfahrung n'est pas neutre !
Face au phénomènes, nous ne sommes pas simplement réceptifs.
Différence entre Q1 et Q2 :
Pour Locke et Boyle, les Q1 sont les qualités que la nature possède
i.e " celles qui sont réellement dans les Corps, & qui n'en
peuvent être séparées. " ;
les Q2 sont des qualités que l'homme perçoit en raison de sa
constition propre.
Exemple de Q1 : solidité, étendue, figure, nombre, mouvement,
repos
Exemple de Q2 : couleur, sons, gout,...)
Les sciences s'intéressent spécifiquement aux Q1 qui sont d'ailleurs
quantifiables avec rigueur.]
L'expérience brute n'est jamais neutre.
cf. Gaston Bachelard - La formation de l'esprit scientifique, éd. Vrin
L'expérience brute comporte une charge affective et symbolique (poétique).
Et cela peut induire le scientifique en erreur.
Il y a, d'une part, le feu comme source de chaleur rassurante et dangereuse
Il y a, d'autre part, le processus physico-chimique
i.e. la simple modification quantitative des éléments.
La théorisation de la question (l'expérimentation) permet de neutraliser l'imaginaire.
Bref :
_ l'expérimentation joue le rôle de filtre
pour que rien d'imaginaire (irrationnel) ne vienne perturber la connaissance.
_ l'expérimentation met en oeuvre un dispositif qui vise à obtenir
confirmation ou infirmation d'une hypothèse.
Le but du scientifique n'est pas de produire une explication à partir
de ce qu'il voit.
Il faut parfois se méfier de ce que l'on voit.
Notamment lorsque les conditions d'observation interfèrent avec l'expérience.
Ex.: système géocentrique de Ptolémée ;
ou le principe d'indétermination d'Heisenberg.
Tout ce qui est visible n'est pas pertinent du point de vue de la science.
Car certains phénomènes (les Q2) dépendent de notre constitution
physique.
Le nature à laquelle s'intéresse la science n'est pas donnée
directement à l'observation.
Mais elle doit l'être au moins indirectement sinon il n'y aurait aucun
accès au réel.
Mais la science ne peut de toute façon pas travailler simplement avec
ce qu'elle perçoit.
Le réel se donne à l'intérieur d'un dispositif expérimental.
(cf. texte d'Einstein et Infeld, n° 7 p. 227)
Les lois de la nature ne sont pas visibles en eIles-mêmes.
Elles sont constatables indirectement par leurs effets.
Encore faut-il reconnaître ces effets comme des effets :
Si j'ignore que la montée du mercure jusqu'à un certain point
est un effet,
je ne chercherai pas sa cause.
Le but est de concevoir (d'imaginer) un modèle théorique du
monde.
Ce modèle permet de rendre compte du mécanisme (lois) de la
nature.
Ce modèle doit intégrer sans contradictions les lois expérimentales.
Le but n'est donc pas d' imaginer un modèle qui colle à la
réalité sensible.
La théorie de l'attraction ne ressemble pas à la réalité
sensible.
La nature étudiée par les sciences se distingue de la réalité
telle que nous la percevons.
Comment vérifier que le modèle correspond à la réalité ?
Le Verrier constate qu'Uranus ne suit pas la trajectoire calculée
d'après la
théorie de l'attraction de Newton.
· La théorie de l'attraction de Newton permet d'établir
:
_ la chute des corps
_ la corrélation entre marées et position de la lune
_ la variation de la gravité avec l'altitude
· La théorie de la relativité d'Enstein permet d'établir:
_ les 3 point sus-mentionnés
et permet d'interpréter les 2 points qui réfutaient la théorie
de Newton :
_ le détail des particularités de l'orbite de la planète
Mercure
_ la masse variable des électrons à grande vitesse dans le tube
à décharge
et, enfin, la théorie d'Einstein permet aussi de prédire :
_ que la masse dépend de la vitesse
_ que la masse et l'énergie peuvent se transformer l'une en l'autre
_ que les rayons lumineux sont courbés par de forts champs gravitationnels
On admet une hypothèse si elle résiste à l'épreuve
du réel.
Si c'est l'épreuve du réel qui valide une hypothèse alors
le critère de la vérité ne réside-t'il pas malgré
tout dans le réel ?
L'expérimentation a pour fonction de tester l'hypothèse.
L'expérimentation est l'application de l'hypothèse.
Le succès de l'expérience valide l'hypothèse.
Dès lors, l'hypothèse devient une loi établie.
· L'expérience ne "VERIFIE" pas stricto sensu la théorie :
L'expérience ne "vérifie" pas une théorie.
Un cas singulier ne rend pas compte de la généralité
i.e. de la théorie.
Le cas singulier ne vaut que pour lui seul.
D'ailleurs, l'expérience peut " confirmer " deux théories
opposées.
Un modèle théorique faux peut donner des prédictions
correctes.
Exemple : les systèmes héliocentriques et géocentriques.
Exemple logique :
Socrate est un homme
hypothèse Tous les hommes sont blancs
conclusion : Donc Socrate est blanc
· L'expérience ne peut " valider " que de façon provisoire :
Un cas peut " ne pas contredire " l'hypothèse.
Pour ce cas, l'hypothèse est sauve.
Mais ce ne sera pas forcément toujours toujours le cas.
Pour la même raison qu'un cas singulier ne être généralisé
(induction),
une expérience ne produit jamais de confirmation définitive.
Stricto sensu, l'hypothèse n'est pas " vérifiée
".
Les scientifiques s'attendent à l'éventualité d'une
réfutation "tardive"
La science a longtemps fonctionné à l'aide de la théorie
de l'attraction (Newton);
jusqu'au jour où les objections sont apparues insurmontables.
· L'expérience peut réfuter de façon définitive :
En revanche, il suffit d'un seul cas pour infirmer l'hypothèse (théorie).
La proposition " tous les corheaux sont noirs " est fausse, si l'on
voit un seul corbeau blanc.
Si l'expérience ne vérifie pas une théorie.
Du moins, elle permet de progresser par la réfutation des théories
erronées.
Il y a progrés parce que l'on sait quelle théorie est irrecevable.
Le progrès se fait par élimination des erreurs.
· L'expérimentation n'est pas toujours possible :
Avec les progrès de la science, la réalisation des expériences
devient de plus en plus difficile.
Les moyens techniques disponibles sont certes trés élaborrés.
Mais ils ne sont pas toujours suffisants pour travailler sur "l'infiniment"
petit ou grand.
L'expérience ne joue plus alors qu'un rôle secondaire.
· L'expérimentation est faillible :
L'expérience peut être mal conçue ou théorisée.
Il arrive qu'un paramètre non prévu par la théorie vienne
perturber l'expérimentation.
cf. l'exemple de Chalmers p.68 : Maxwell et les ondes électro-magnétiques.
Exemple :
En 1905, Einstein publie son article sur la relativité restreinte.
Quelques années plus tard, des résultats expérimentaux
infirment sa théorie.
Pour Einstein, ce sont les expériences qui sont fausses et non pas
sa théorie.
Bref, l'expérimentation est faillible.
Et la théorie prime aux yeux de celui qui la défend...
· L'expérience ne peut réfuter la théorie de façon définitive : les hypothèses ad hoc
Si l'expérimentation contredit l'hypothèse, cela ne veut rien
dire !
L'erreur vient peut-être de l'expérimentation et non pas de l'hypothèse.
On sait que l'expérimentation n'est pas sûre ;
elle peut être erronée !
On peut donc tenter de sauver la théorie par les hypothèses
ad hoc.
On peut supposer que certains paramètres de l'expérimenation
sont oubliés !
Et, ce sont ces paramètres là qui engendrent l'anomalie.
Il suffit alors de proposer une hypothèse supplémentaire pour
rendre compte de l'anomalie.
Les hypothèses ad hoc [un frein au progrès de la science.] :
Exemple de Lakatos : Le Verrier.
Supposons que l'observation n'ait pas permis de constater la présence
de Neptune comme prévu par les calculs.
Aurait-on conclu que la théorie de Newton est réfutée
?
Non ! On aurait proposé une hypothèse supplémentaire
:
Un nuage de poussière cache la planète.
Puis, on aurait calculé la position et les propriétés
de ce nuage.
Enfin on enverrait un satellite pour attester la présence de ce nuage.
Si l'on venait à découvrir le nuage, ce serait une victoire
pour la théorie newtonienne
Mais, supposons qu'on ne trouve pas ce nuage !
Les savants vont-ils abandonner la théone newtonienne ?
Non, ils vont supposer l'existence d'un champ magnétique qui perturbe
les instruments du satellite.
On enverra un nouveau satelitte pour détecter la présence d'un
champ magnétique.
Mais, là encore sans succès.
Considérera-t'on qu'il y a réfutation ? Non.
En droit, rien n'interdit de recourir à une hypothèse ad hoc
supplémentaire !!!
En droit rien n'interdit de penser qu'un paramètre perturbe l'expérimentation
!
Mais, cette démarche peut être sans fin... Problème !
En droit, l'expérience ne peut donc pas réfuter de façon
définitive une théorie.
A ce compte là, il n'y a plus de théorie fausse !
Même fausse, elle doit être considérée comme vraie
faute de pouvoir la réfuter.
Néanmoins, une expérience qui résiste à la théorie
la rend sujet à caution.
Surtout si de nombreuses anomalies se présentent !
Est-il alors en droit impossible de réfuter une théorie ?
Et comment valider une théorie ?
Les critères établis plus haut sont encore valables.
Mais au lieu de valider une théorie par rapport à l'expérience,
on la valide plutôt par rapport à une autre théorie !
_ Réitérabilité
_ La prédictibilité
_ Expliquer un plus grand nombre de phénomènes :
Entre 2 théories concurrentes, on retient celle qui explique le plus de phénomènes.
La théorie doit pouvoir prédire tous les phénomènes
du même type :
Exemple : la même théorie doit expliquer les orbites de toutes
les planètes.
Elle doit pouvoir expliquer aussi un grand nombre de phénomènes
divers :
On découvre régulièrement que des phénomènes,
que l'on croyait sans rapport,
relèvent de la même loi.
la théorie des couleurs relève des lois électro-magnétiques.
A partir de Newton, on découvre que l'on peut unifier Kepler et Galilée.
On admet donc que des faits distincts se regroupent sous la même loi,
et que ces lois, elles-mêmes puissent se regrouper sous une même
théorie.
cf. le projet des sciences formulé par Max Planck :
" Depuis qu'il existe une science de la nature, on lui a toujours assigné
comme fin supérieure de grouper en une synthèse systématique
la prodigieuse diversité des phénomènes physiques et
même, si possible, de la condenser en une seule formule." Initiation
à la Physique, p.7
Ceci engendre un souci de systématisation.
Une théorie ne sera pas réfutée directement par l'expérience.
Mais elle sera réfutée par une autre théorie plus efficace.
Un théorie plus efficace est une théorie capable d'expliquer
l'apparente anomalie.
L'anomalie se résorbe.
Il n'y a d'anomalie que si la question ou la théorie est mal posée.
En changeant de théorie, l'anomalie apparaît comme une régularité.
Le système de Ptolémée comporte de nombreuses hypotheses
ad hoc.
En effet, il admet de nombreux cas ou lois particulières.
Ce qui rend son système extrêmement complexe.
Ces hypothèses ad hoc servent à expliquer les déplacements
parfois irréguliers des planètes
pour un observateur situé sur terre.
A chaque irrégularité visible correspond une exception dans
le système.
Copernic change de point de vue : il ne se fie pas directement à ses
perceptions.
Il essaye de penser le système solaire du point de vue d'un observateur
extérieur à la terre.
Copernic rend alors compte des apparentes irrégularités par
une construction très simple : un minimum de moyen.
La "solution" copenicienne est d'une grande élégance.
Sa théorie annule les irrégularités.
La théorie de Ptolémée est réfutée par celle de Copernic qui explique mieux le système solaire !
La science rentient toujours la théorie la plus simple,
c'est-à-dire celle qui rend compte d'une grande diversité de
phénomènes par un minimum de moyens (plus efficace !).
On retiendra la théorie qui intègre toutes les soi-disant anomalies
sans recourir à des lois ou à des explications complémentaires.
Bref, on retiendra la théorie qui trouve une explication simple à
des phénomènes qui apparaissent complexes du point de vue de
la théorie précédente.
Finalement, la science s'oriente d'après un principe d'économie
:
une plus grande performance avec un minimum de moyen.
Le passage d'une grande théorie à une toute autre grande théorie
s'opère selon ce principe.
Newton est plus simple que Galilée et Einstein plus simple que Newton.
Newton couvre un champ de phénomènes plus grand que Galilée
et Einstein couvre un champ plus grand que Newton.
c-à-d : que Newton " explique " davantage de phénomènes
que Galilée,
et Einstein en explique davantage que Newton.
Or, en l'occurrence, Einstein ne dirait pas que la théorie de Newton
est fausse.
Elle est simplement plus approximative que celle d'Einstein !
D'ailleurs, on utilise encore Newton pour calculer la trajectoire d'une fusée.
Au lieu de parler de vérité, il convient peut-être de
parler plutôt d'efficacité !
Selon l'usage (cadre, référent) Newton peut s'avérer
plus approprié,
même s'il est globalement moins précis !
Nous avons envisagé des situations simples.
L'alternative entre géocentrisme et héliocentrisme ne fait pas
problème.
L'héliocentrisme est évidemment imparfait !
Or il arrive que deux théories concurrentes expliquent à peu
près autant de phénomènes,
voire n'expliquent pas les mêmes mais rendent compte d'un grand nombre
de phénomènes malgré tout !
On voit là les limites de cette démarche qui s'avère
profondément pragmatique.
Elle est moins régie par des principes (de jure) que par un souci d'efficacité.
En fait, il n'est pas si aisé de changer de théorie, notamment de paradigme.
Qu'est-ce qu'un paradigme ?
Toutes les théories n'ont pas le même rôle, ni la même
importance.
Toute théorie scientifique contient un coeur : une idée phare
("paradigme").
Le paradigme est la partie fondamentale ou fondement.
Or toute science travaille dans le cadre d'un certain paradigme.
Le paradigme est une théorie clef ou centrale.
C'est une sorte de clef de voûte d'un ensemble de théories et
de problèmes.
Il définit le cadre des recherches :
Le paradigme détermine la façon de poser et de comprendre les
problèmes.
Ce paradigme détermine la façon dont les faits sont compris
et analysés.
Il détermine aussi quels sont les faits retenus pour être étudiés.
Renoncer au paradigme, revient à renoncer à la théorie
fondatrice, au cadre d'investigation et du coup, l'ensemble des problèmes
et des recherches s'écroule.
Bref, les paradigmes forment chacun un système à part entière (indépendants les uns des autres).
Il est donc très difficile pour un scientifique de changer de paradigme.
Ex.: Poincaré, brillant physicien, a refusé la théorie
d'Einstein.
Passer d'un paradigme à un autre, c'est changer de conception du monde.
Ce qui apparait comme normal pour un paradigme ne l'est pas pour un autre.
Le critère de la normalité varie donc en fonction du paradigme.
Pour les newtoniens, il est permis de parler d'une action à distance,
alors que pour les cartésiens, il s'agissait d'une idée occulte.
Les paradigmes ont une histoire ou une durée de vie limitée.
Il faut un certain temps pour découvrir toute la fécondité
d'une théorie.
A mesure que l'on progresse, on commence à rencontrer ici et là
quelques anomalies.
Il y a un moment où les phénomènes résistent à
l'explication.
Dès lors, il faut rompre totalement avec le paradigme.
Tout le problème, c'est de savoir quand.
(C'est une leçon a posteriori de l'histoire des sciences.)
Kuhn constate qu'en principe les scientifiques ne changent pas de paradigme.
La science change de paradigme, lorsque les anciens représentants du
paradigme dominant ont laissé la place à la nouvelle génération.
Comparer les paradigmes entre eux ne va pas de soi.
On a déjà évoqué le fait que toute observation
prend sens en fonction d'une intention voire d'une théorie.
Les faits observables ne signifient rien par eux-mêmes.
Le sens vient de ce que nous y introduisons.
C'est nous qui mettons du sens dans les choses en fonction de nos attentes.
De même, toute mesure, tout fait sont liés à un paradigme.
Cela explique que dans la concurrence entre nouveau et ancien paradigme la
discussion ne se situe pas seulement au niveau des réfutations et des
faits, mais aussi au niveau de la " croyance " en un paradigme.
Les tenants de l'ancien paradigme résistent au nouveau même face
aux preuves.
Car les preuves n'ont force de preuve qu'associés au nouveau paradigme.
Dans l'ancien paradigme, elles ne sont pas lisibles.
Einstein n'échappe pas à cette règle.
Dans la Partie et le Tout, Heisenberg raconte comment, pendant tout le congrès
de Solvay (1927) Einstein s'efforça de trouver des objections à
la théorie des quanta et notamment à la relation d'incertitude.
(cf. Jarrosson p.l5I)
La théorie d'Einstein est une meilleure approximation que celle de Newton et celle de Galilée.
ConclusionJusqu'ici nous nous sommes essentiellement intéressés à
l'expérience ou à l'expérimentation.
Il s'agissait de déterminer leur rôle dans les sciences.
Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, ce rôle reste "
restreint ".
Et le progrès scientifique est d'abord principalement d'ordre théorique.
Le progrès résulte de la concurrence entre théories.
On retient celle qui rend compte le plus simplement d'une grande diversité
de phénomènes.
14/12/11