Je ne choisis pas mes désirs ;
ce n'est pas un choix conscient et volontaire qui est à l'origine de
mon désir.
Je ne suis donc pas libre de désirer ce que je veux.
Si je ne suis pas libre de désirer ce que je veux ;
puis-je désirer librement ?
Quand je désire ne suis-je pas contraint ?
Est-ce que je ne subis pas mon désir ?
Or, en règle général, je m'identifie à mon désir
;
c'est-à-dire que je crois reconnaîttre le désir comme
relevant de ma volonté.
Pourtant dans certaines circonstances je découvre que mon désir
et ma volonté ne s'identifient pas forcément.
En effet, mon désir peut être contraire à mes valeurs
morales, sociales, esthétiques.
Il peut être contraire à mon goût. (Exemple : Un amour
de Swann)
Si mon désir m'apparaît clairement déraisonnable, je
peux d'abord m'interdire de le satisfaire.
Je peux ensuite l'exclure de ma pensée, c'est-à-dire aller en
refouler l'idée.
En règle générale, je peux opposer ma volonté
à mes désirs.
(Aristote explique que par l'exercice, on peut fortifier sa volonté
contre ses désirs ;
ou inversement, je peux affaiblir ma volonté en ne l'exerçant
pas à résister : Ethique à Nicomaque).
Donc je peux refouler un désir mais je ne suis pas sûr pour
autant d'avoir cessé de le désirer.
Ce n'est pas parce que je rejette un désir par la pensée qu'il
cesse d'exister pour moi.
Si ma volonté doit tenir ce désir hors de ma pensée,
cela implique qu'il n'a pas cessé exister.
D'ailleurs, si par hasard (?) _ par exemple par le biais d'une association
d'idées_, ma pensée rencontre à nouveau l'objet de ce
désir, il n'est pas impossible que le désir que j'en aie se
fasse à nouveau sentir avec toute son intensité.
Et, peut-être même d'autant que j'aurais plus tenté de
refouler ce désir.
[(N.B. les désirs sont d'autant plus forts que pèse un interdit
sur eux et qu'il est difficile ou rare de les assouvir ;
contrairement aux autres, les désirs simples à réaliser
(ex. se promener, rêver, etc.) ne génèrent pas de réelle
intensité.
Ceci explique, au moins en partie, qu'il y ait différents degrés
du désir.
On ne désire pas la richesse ou l'amour de la même façon
qu'une glace au chocolat.
La frustration accroît le désir (cf. Freud Malaise dans la civilisation)]
Inversement, je ne peux choisir de désirer des choses raisonnables.
Je ne peux choisir de désirer les choses dont je sais qu'elles sont
bonnes pour moi.
Je peux feindre ce désir...mais jamais très longtemps.
Donc je ne suis pas libre de désirer.
La décision de désirer ne vient pas de moi.
Je suis passif. Je subis le désir.
(N.B. ce qui ne veut pas dire que je ne puisse pas résister à
mes désirs.)
Je le perçois en particulier lorsque ce désir est néfaste
pour moi.
Je suis pris (prisonnier) dans une contradiction.
D'une part, je désire tel objet ou tel plaisir néfaste.
Et d'autre part, je veux ce qui est bon pour moi.
Il y a un conflit en moi entre mon désir et ma volonté.
Rectification terminologique :
Peut-on dire " mon " désir alors que je ne suis pas libre
de désirer
et alors que ce désir ne vient pas de moi ?
En même temps, c'est le mien et pas celui d'un autre !
Un autre n'aurait pas forcément désiré la même
chose que moi...
Alors pourquoi moi et pas l'autre ?
Pourquoi ai-je du désir et pas l'autre ?
Cela doit aussi tenir à quelque chose qui relève (dépend)
de moi...
C'est l'objet du désir qui est le moteur de mon désir. (Aristote)
La force de mon désir dépend du caractère désirable
de la chose.
En principe, le désir naît de l'objet.
Cependant, il peut aussi y avoir des désirs sans objet ;
notamment, lorsque le désir " vit " dans la nostalgie de
l'objet perdu.
Dès lors, le désir vit dans l'attente d'un objet.
Et il n'est pas impossible qu'il se trompe sur son objet (Mme Bovary).
L'objet devient prétexte.
On désire telle chose faute de mieux.
" Je m'aime aimant " (St Paul) i.e. j'aime le fait d'être
en situation amoureuse.
(" J'aime être aimé " et " J'aime (de façon
désintéressée) donc véritablement")
A moins que cet objet ne soit, au contraire, le véritable objet de
notre désir.
Ce désir porterait sur le véritable mais inavouable objet de
mon désir.
(cf. Un amour de Swann)
Il y a donc peut-être un " véritable " objet du désir
qui se cache à ma conscience.
Donc, non seulement, je ne suis pas à l'origine de mon désir
[je désire contre mon gré]
mais je ne sais pas toujours que je désire lorsque je désire,
[je désire à mon insu],
ni enfin ce que je désire...en vérité. [je crois _à
tort_ savoir ce que je désire]
On peut y voir une triple privation de liberté.
Tout d'abord, le désir est une donnée humaine, un factum.
Il y a du désir en tout homme en tant qu'il est un être vivant.
Aristote rappelle que le désir ne résulte pas de la raison,
puisque c'est par la raison que l'homme peut réduire le désir
au silence.
Aristote dit que c'est l'objet désirable qui est le moteur.
En effet, l'objet désiré m'attire...il me met en mouvement.
J'entreprends, à cause de lui, les démarches requises pour l'obtenir.
Il s'agit donc d'obtenir quelque chose dont j'escompte du plaisir.
Je suis donc animé par la recherche et l'envie du plaisir.
Le désir de possession vise le plaisir non la chose.
L'objet du désir est moteur :
Il m'anime et me porte à obtenir la chose désirée.
Plus le désir est fort, plus les efforts mis en oeuvre seront grands.
Les efforts cessent lorsque j'entre en possession de la chose désirée.
Doit-on admettre alors que l'impulsion due au désir cesse avec la possession
?
Ou encore, le désir cesse-t-il avec la possession ?
Exemple : je désirais longtemps tel jouet.
Maintenant que je l'ai, je m'en désintéresse.
Doit-on considérer qu'en réalité, je ne désirais
pas vraiment ce jouet ?
Ou bien le simple fait de posséder satisfait-il mon désir ?
Or il y a des choses que l'on ne possède pas !
Exemple : autrui.
(Platon : je ne désire ce que je ne possède pas
et je ne possède pas ce que je désire)
La relation amoureuse ou le mariage (aujourd'hui) n'instituent pas un rapport
de possession.
Le lien demande à être sans cesse entretenu, réinstitué...
Posséder autrui, c'est réduire l'autre à une chose, le
réifier.
C'est faire de l'autre " sa chose ", son objet...de plaisir.
Mais il n'y a pas de reconnaissance dans le regard d'une chose.
Je n'ai plus affaire à une personne qui me renvoie mon image de personne.
L'autre réflechit toujours mon image.
L'image, ce n'est pas tout à fait moi.
C'est une approximation du moi.
Grâce à l'image, je m'approche des choses. J'en acquiers la connaissance.
Evidemment, c'est une connaissance partielle ou encore une facette.
Réifier l'autre, c'est chercher à le maîtriser,
c'est chercher à contrôler ce qu'il me donne (le plaisir mais
aussi l'image qu'il me renvoie) ;
c'est refuser de se voir tel que l'on pourraît s'apparaître.
On se fige donc dans un rôle. On endosse un statut : maître ou
esclave.
Reprise de la question :
Quelle est l'origine du désir ?
Quelle est la cause de mon désir ?
D'où vient mon désir, s'il ne vient pas de moi ?
Et comment peut-il y avoir en moi quelque chose qui ne vienne pas de moi ?
Il y a là quelque chose de troublant :
Il y a en moi des désirs qui ne viennent pas de moi, qui en cela me
sont étrangers !
et la présence de ces désirs implique une Cause étrangère
et invisible en moi.
Et je perçois ces désirs, en moi, comme miens.
En effet, je vis ces désirs comme miens ;
je m'identifie à eux ; je me reconnais en eux.
Ces désirs m'apparaissent comme l'authentique expression de ma personnalité.
C'est bien moi qui suis frustré, si je ne peux les assouvir !!!
Prenons ici acte du fait que le Moi n'est pas simple i.e. sans partie;
Prenons aussi acte du fait que je ne suis pas transparent à moi-même.
La réponse de Platon :
Le désir naît d'un manque !
Il ne s'agit pas ici d'une simple tautologie.
On ne manque pas de tout mais seulement de ce que l'on connaît.
On ne manque pas de n'importe quoi (cf. distinction entre manque et privation)
Pour connaître il a fallu éprouver, expérimenter...au
moins une première fois.
Ainsi nous vivons dans la nostalgie d'une joie, d'un plaisir perdu.
C'est l'absence et le sentiment du manque de cette joie qui engendre le désir.
La réponse de Spinoza :
Le désir n'est pas l'expression d'un manque ou dépendant d'un
plaisir perdu.
Le désir n'est pas second : il ne dépend pas d'un objet mais
il est premier.
Le désir précède l'objet.
Car le désir est le mode d'être par excellence de tout vivant
;
il est cosubstantiel à l'être en devenir.
Le désir est désir d'être.
C'est la volonté de perséver dans l'être (à ne
pas confondre avec l'instinct de survie)
14/12/11