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La connaissance de l'intelligible

" L'allégorie de la caverne "

République VII,514a-517c de Platon disponible sur le site d'Encéphi.

L'allégorie est une image ...
Socrate parle par image parce qu'elle a une valeur pédagogique.
Elle permet le passage, à travers l'image concrète, à une représentation abstraite.
En principe, elle permet de penser ce qu'un discours théorique a du mal à exposer...

Il y a deux étapes décisives pour le prisonnier :

1. conversion dans la caverne
2. progression hors de la caverne

Dans la caverne :
Platon décrit une situation fictive : des prisonniers attachés depuis toujours au fond d'une caverne.

Platon donne la clef principale de l'allégorie : ces prisonniers, c'est nous !

En quoi notre situation ressemble-t-elle à celle des prisonniers ?
Il veut dire par là que nous prenons les apparences pour la réalité.
Et, nous sommes "prisonniers des apparences".
Certes, nous savons déjà qu'il nous arrive de " prendre les apparences pour la réalité... ".
Les apparences peuvent masquer la réalité.
Par exemple : l'image de marque (la fonction) est le faux ;
face au président, au ministre, au proviseur, au professeur, à l'élève,... on a le statut avant la personne. Au point de ne plus voir parfois qui se cache derrière la fonction.

Mais la position de Platon est encore plus radicale !
Nous nous sommes toujours trompés sur ce qu'était la réalité.
Car ce que nous voyons depuis toujours, ce sont des apparences !
Ce que nous prenons pour la réalité n'est jamais qu'un semblant de réalité.
Bref, " notre " réalité est une " illusion " !
Ainsi le monde sensible que je vois, que je touche, dans lequel je vis, n'est pas la réalité.
Voilà une affirmation bien étrange et téméraire !

Examen de détail :
Que voient-les prisonniers sur le mur ?
- les ombres des objets manufacturés (imitation à la puissance 2)
- leurs ombres propres !!!
- la lumière du feu (et non pas la lumière du jour mais une lumière artificielle !)

Au cinéma, il m'arrive de faire ponctuellement l'expérience de ces prisonniers ;
j'oublie que les images du film ne sont pas la réalité !!!
Les images m'apparaissent alors plus réelles que le mur que je ne vois pas.
J'accorde trop de confiance à ce que je vois et pas assez à ce qui ne se voit pas !!!

C'est peut-être une erreur de dire : je ne crois que ce que je vois.

Néanmoins, je sais que les images au cinéma ne sont pas la réalité,
car il leur manque quelque chose !
Au cinéma, je suis seulement spectateur.
Cela signifie que seule la vue et l'ouïe sont sollicités.
Alors que dans la vie, nous sommes acteurs et utilisons nos 5 sens !
L'expérience au cinéma est moins riche que celle de mon existence.
C'est l'expérience corporelle du monde qui sert d'aune ou de critère pour mesurer la réalité. Et donc le critère du réel, c'est finalement le tangible !


L'illusion temporaire ne suffit pas à démontrer que ma réalité soit une illusion permanente.
C'est l'expérience (sensible) de soi agissant dans le monde qui constitue l'indice de la réalité.
Or, Platon précise :
les prisonniers ne connaissent d'eux-mêmes que leur ombre projetée sur le mur !
Les prisonniers ne se connaissent pas eux-mêmes mais seulement leur propre reflet.
Autrement dit, l'expérience de soi est un critère de la réalité qui est sujet à caution !!!

Si je confonds apparence et réalité, c'est parce que :
l'on m'a toujours montré du " faux " ;
je prends le " faux " pour du " vrai ".
C'est toute mon expérience du réel qui m'a induit en erreur.
Autrement dit, selon Platon, nous vivons dans l'illusion la plus complète.
Pour s'en rendre compte, il faudrait avoir quitté notre caverne ;
c'est-à-dire qu'il faut connaître la vraie norme du réel !

N.B. Les ombres sur le mur sont le reflet des sculptures.
Les ombres ne sont pas " fausses " ou inexistantes ;
elles sont bien là mais ce sont des reflets !
Il y a bien quelque chose à voir : un phénomène sensible.
L'homme a raison de voir quelque chose.
Mais, il juge mal ce qu'il voit.
Nous sommes dans l'illusion au sujet des apparences sensibles.
La réalité ne se donne pas à travers la manifestation sensible ;
ou plutôt elles ne se donnent qu'imparfaitement et incomplètement !

La sensation de dureté de la table n'est pas l'indice de sa réalité.
Et pourtant, c'est bien cette sensation qui me fait croire à sa réalité.
D'ou vient cette croyance ?
Qu'est-ce qui me pousse à associer sensation et réalité ?
On a déjà vu que c'est la seule réalité que je connaisse.
cf. : l'expérience sensible de soi dans le monde est un critère erroné.

Mais, il y a encore une autre cause à cette confusion :
D'où vient la certitude qu'ont les prisonniers de connaître la réalité ?
Elle vient, du consensus dans l'acte de dénomination.
Ils nomment les apparences de la même façon. Ils parlent de la même chose.
Exemple : comme moi, les autres appellent table ou cercle ou carré le même objet.
Cela contribue à me conforter dans l'erreur.

Mise en garde supplémentaire de Platon
N.B. " des ombres d'objets fabriqués " !!!
Le prisonnier ne voit pas l'ombre des choses réelles.
Il voit l'ombre d'artefacts.
Or l'objet fabriqué est d'une certaine façon aussi une imitation.
Il s'agit en quelque sorte d'un redoublement.
Dans la caverne, on voit une apparence à la puissance deux.
Platon serait-il en train de suggérer que nous aussi, nous nous trompons doublement sur la réalité ?
La réalité sensible est-elle une imitation à la puissance 2 ?

Explication :
Ces images perçues sont l'ombre portée de " choses " construites par l'homme (statues).
Le monde sensible nous apparaît d'après une idée consensuelle.
Ces idées consensuelles servent de norme à nos représentations mentales.

Premier exemple :
Nos perceptions sont le résultat d'une construction, d'une mise en forme !
Cette mise en forme est tributaire d'idées culturelles, variables (car non-naturelles).
ex.: L'odeur du camembert pour un japonais est affreuse.
ex.: la couleur noir sur un écran de télévision.


Deuxième exemple :
La justice qui est à l'œuvre dans un tribunal s'exerce d'après l'idée que la société s'est donnée de la justice et du droit.
Or, il y a plusieurs conception du droit : droit positif ou droit naturel.
Elle est relative à la société.

Nous percevons et comprenons les événements d'après des idées toutes faites par notre société.

Troisième exemple :
Si je dis : " j'ai laissé mes notes de cours sur ma table, juste à côté de la lampe " ;
vous comprenez ce que je veux dire.
Vous pouvez même visualiser sans avoir jamais vu la table en question.
Vous le pouvez grâce à l'idée (schématique) de table qui vous est donnée par notre culture.
Et c'est aussi cette idée (schématique) qui permet de reconnaître une table quand nous en voyons.

Il y a donc entre le monde et nous des idées conçues qui jouent le rôle de filtre.
Elles orientent nos perceptions, les construisent.
Et elles sont indispensables car sinon nous ne pourrions rien distinguer.
Nous ne saurions pas où commence et où finit un objet dans l'espace.

Problème : dans quelle mesure ce filtre est-il culturel et contingent ?
Dans quelle mesure l'accès au monde est-il frappé de contingence ?

Or, ces idées schématiques (ou fabriquées) sont encore des imitations.
De quoi sont-elles l'imitation ?
Pour le savoir, il faut passer au monde intelligible.
Le modèle est d'ordre purement intelligible.
Il ne dépend pas de la culture et n'est pas contingent.


La délivrance et la sortie hors de la caverne (ou la conversion religieuse) :
Regarder dans la direction de la réalité est douloureux.
Cela demande un effort et on commence par ne plus rien discerner.
Ceci explique le refus de renoncer au sensible comme réalité.

Pourquoi l'obliger à nommer ?
En obligeant le prisonnier à nommer les choses qu'il voit,
on le force à " reconnaître " la réalité.

L'élévation du regard se fait par étapes une fois seulement sorti de la caverne !
La pédagogie n'intervient pas d'emblée.
Il faut d'abord se détourner des ombres au lieu d'approfondir le préjugé.
Une fois bien orienté, le but sera de regarder progressivement la vérité.

Il peut comparer son nouveau savoir avec celui dont disposent les prisonniers.
Et contrairement aux prisonniers, il dispose des éléments de comparaison.

Le regard s'élève par degré :
Il commence d'abord par l'ombre naturelle des choses et leur reflet;
puis il en vient aux choses elles-mêmes.
Et enfin à la source de la visibilité : la source de la connaissance i.e. le principe d'intelligibilité.

Quelle est cette science des prisonniers ?
" distinguer avec le plus de précision les ombres [les phénomènes] qui se présentent "
" se rappeler le mieux celles qui ont l'habitude de passer les premières, les dernières, ou ensemble "
" être capable, à partir de ces observations, de présager ce qui doit arriver "
Platon nous donne là une assez bonne définition de la science même moderne .

Retour dans la caverne :
Le philosophe qui connaît la réalité ne voit pas bien lorsqu'il examine la soi-disant réalité sensible.
Il semble maladroit et prête alors à rire.
C'est une erreur de juger les philosophes sur leur maladresse.
C'est une mise en garde à l'attention des non-philosophes.

Pourquoi le philosophe ne souhaite-t-il pas retourner dans la caverne ?
_ Parce que l'obscurité (vivre dans l'illusion) est une source de souffrance.
(cf. la fiction du héros qui découvre que la société est victime d'une machination dont elle ignore tout).
Dimension dramatique qui fait écho au destin de Socrate :
ceux qu'il cherche à éclairer ne le croient pas et le tuent.

Alors pourquoi redescendre ?
_ Parce qu'il éprouve le besoin de dire ce qu'il sait (d'éduquer),
et il ne sera pas complètement heureux tant qu'il n'aura pas transmis son savoir.

Interprétation de l'allégorie de la caverne :

Le monde sensible perçu, i.e. le monde matériel, n'est pas la réalité.
La table perçue n'est qu'une apparence, c'est une image de table.
La table sensible n'est pas pleinement réelle.
Elle est prise dans le devenir, dans l'écoulement du temps.
A ce titre, la connaissance que j'en ai est frappée d'une certaine inconsistance.
Il y a du non-être dans le devenir.
Et il y a du non-être dans la table sensible.
Dans la table sensible, l'être et le non-être sont en rivalité.
Pendant un certain laps de temps, la table sensible demeure table.
Mais cela ne durera pas.
La matière des choses sensibles finit toujours par perdre la Forme qu'on lui a donné.
La chose sensible retourne toujours au " désordre ".
Si dans la table sensible, il y a du non-être.
Dans l'Idée de la table, il n'y a que de l'être.
L'Idée de la table, c'est l'être de la table ou l'être-table : ce qui fait qu'une table est une table.
Il n'y a que de l'être-table dans l'essence de la table.
Dès lors, s'il y a moins d'être dans le sensible que dans l'intelligible,
il s'ensuit qu'il y a moins de réalité dans l'intelligible.
La table sensible est moins réellement table que l'Idée de la table.
La réalité de la table est du côté du monde intelligible.
Seule la réflexion peut accéder à ce côté du monde.
Il faut un effort considérable pour rompre avec la croyance au sensible !
Etre dans le vrai, c'est voir bien (juste) les Idées telles qu'elles sont.
Ce qui est vu ne dépend pas de moi : on n'est plus dans la subjectivité.
C'est le monde sensible qui laisse de la place à l'expression de la subjectivité.
Car le monde sensible n'est pas le lieu d'un savoir exact.
L'intelligible ne varie pas d'un individu à un autre.
Il ne dépend pas des individus.

Les reflets des choses et les Mathématiques :
Il faut donc se détourner du sensible trouble et fascinant à la fois qui nous induit en erreur.
Se fier aux apparences ne permet pas de connaître les causes véritables.
Tant que l'homme s'est fié aux apparences, il s'est imaginé que la terre est plate et immobile.
Une fois libéré de l'emprise des choses sensibles, on aborde les objets mathématiques.

Même si les mathématiques se servent d'un support sensible (figures géométriques),
c'est toujours un objet universel qui est visé.
Elles ne s'intéressent pas spécifiquement au triangle sensible mais à l'abstraction que le triangle symbolise.
Or les mathématiques reposent sur des postulats.
On admet des définitions (point, ligne, etc.), des axiomes (la partie est plus petite que le tout) et des postulats (par un point extérieur à une droite ne peut passer qu'une seule parallèle)
Ces postulats ont valeur d'hypothèse.
Ces postulats sont les éléments de composition des mathématiques.
Ces hypothèses sont vérifiées par les déductions qu'elles permettent et leur cohérence avec le reste du système mathématique.

Mais aux yeux de Platon, il y a quelque chose d'insuffisant dans cette démarche.
On n'en reste à des hypothèses !
En ce sens, on est pas absolument sûr que les mathématiques soient vraies.
Les mathématiques montrent le chemin mais elles s'arrêtent trop tôt.
Il faut monter d'hypothèse en hypothèse jusqu'au fondement ultime.
Cette méthode, Platon l'appelle : dialectique.
Le fondement des hypothèses est le principe anhypothétique.
C'est le principe (arkhè) qui n'a pas besoin d'être fondé car il se fonde lui-même.
Il fonde et rend raison de toute chose i.e. de tout l'être... il commande !
Ce principe anhypothétique, c'est le Bien.
C est l'équivalent non-sensible du soleil.

Qu'est-ce qui fait qu'il y a des Idées ?
Et, qu'est-ce qui fait que l'on peut "voir" des Idées ?
C'est l'idée du Bien. Le soleil est l'allégorie de l'Idée de toutes les Idées.
C'est l'Idée du Bien dont dépendent en retour toutes les autres.

Dès lors que le prisonnier voit le Bien pourquoi redescendrait-il dans la caverne contre son désir ? Parce que c'est Bien.
Il faut vivre selon un principe donc vivre en se demandant qu'est-ce qui est bien.
Bien vivre, c'est vivre selon le Bien.
A la question : pourquoi c'est bien ? Il faut répondre : parce que c'est bien.
Le bien est une réponse ultime.


Difficultés posées par le texte de Platon :

Qui est cet homme qui délivre le prisonnier ? Le philosophe.
Il faut donc être éduqué par un philosophe pour se délivrer de nos illusions.
Mais qui a délivré le premier philosophe ?
On a là l'exemple des limites de l'image que représente l'allégorie...
On sait bien que, dans les faits, souvent les philosophes ont du génie voire un démon.

Comment expliquer que Platon adopte une image pour parler de la connaissance ?
En principe, il recourt à l'image (mythe) lorsqu'il rend compte d'un savoir vraisemblable.
C'est le cas notamment lorsqu'il cherche à penser l'inscription de l'intelligible dans le sensible (cf. Le Timée)
Or ici, il s'agit de la connaissance !!!
Sans doute la raison en est qu'il ne vise pas à nous faire " connaître " la connaissance.
Par le recours à l'image, il se contente de nos suggérer notre état illusoire.
Il ne nous arrache pas véritablement à nos illusions.
Nous n'accédons pas au monde intelligible !
Par cette allégorie, Platon ne nous arrache pas avec violence à notre caverne pour nous trainer le long d'une pente abrupte à la recherche du vrai intelligible.
Comprendre l'Allégorie demande peu d'effort et s'avère peu douloureuse.

Date de mise à jour : 22/01/04

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